mercredi 13 avril 2011

Les soldes et l'inflation



Nous sommes le dernier mercredi du mois de juin.
Pour certains, ce jour rime avec la fin d’une très longue gueule de bois. Fête de la musique et programmation de différents « festoshs ».
Pour d’autres puceaux, il s’agît de la fin des épreuves du Bac. C’est donc LE moment idéal pour s’organiser des petites sauteries, des vacances…

Steve, lui, s’en contrefiche des banales histoires de diplômes, d’épreuves, de gueule ou même de bois. Pour Steve, c’est le grand jour. Le début des soldes d’été.
Malheureusement pour certains, heureusement pour lui.
Nous sommes en l’année 2032, période économiquement difficile puisque le gouvernement a enregistré un taux d’inflation record atteignant des sommets. Taux qui augmente chaque année de 10%.

Quelle aubaine pour ce « StiSti », comme l’appelle ses amis ! La fréquentation des magasins va fortement diminuer. Il pourra flâner dans les rayons sans que les femmes d’ouvriers s’arrachent des mains les pantalons soldés jusqu’à moins 70%. Quel calvaire, que de se frotter à ce type d’individus, qui ferait n’importe quoi pour avoir ne serait-ce qu’un dixième de tes ressources financières. « Jaloux ! » s’écrit t-il.

Il est 10H du matin. Nul besoin de s’empresser pour Steve. Même si les magasins ouvrent plus tôt en raison de l’évènement, les prix affichés précédemment dans les brochures sont horriblement haut. Ils freinent donc la quasi-totalité de la population qui préfère encore hypothéquer leurs actifs pour manger du jambon.
Là où, vingt ans auparavant, les familles misaient sur ces promotions pour se procurer des vêtements, des meubles pour le reste de l’année, il est aujourd’hui préférer d’aller se munir de pardessus ou couvre-chefs en braquant des containers « La Croix Rouge ».

L’heure est venue pour Steve de sortir. C’est déjà une mission qu’il redoute. Il a pour habitude d’attraper des plaques rouges sur le visage dès lors qu’un miséreux, seulement rémunéré à hauteur de 1381 €net/ mois se trouve dans un périmètre de dix mètres à la ronde.
Alors, c’est vêtu d’une cagoule comme on en fait plus, qu’il arpente les rues accédants aux Grands Magasins. Une chance : Il habite à deux pâtés de maison. Il a donc logiquement décidé de laisser sa Corvette au garage.
Son objectif est clair, profiter de son jour de congé pour faire des « bonnes affaires ».
Les rues sont curieusement désertes pour un premier jour de soldes. Pas si curieux si l’on en croît l’aberrante hausse des prix. Qu’importe ! Cela fera moins de plaques rouges sur le visage cagoulé de Steve.
Les pigeons, anciennement réputés pour être énervants, têtus, collants, se sont eux aussi adaptés à la vie de luxe imposée par les industriels. Fini les gros pigeons hagards, qui bavent et qui te foncent dessus comme s’ils ne t’avaient pas vu. C’est dorénavant avec une robe dorée que ces derniers déambulent les rues. Ils sont devenus éduqués et ne réclament pas la moindre miette de pain. Au même titre que les mendiants dans la rue, ils ont compris qu’ils feraient davantage de recettes en proposant une création artistique plutôt qu’en pleurnichant.

La devanture du Grand Magasin est belle. « Ils ont fait les choses en grand cette année » se réjouit Steve. Le pakistanais qui ouvrait la porte pour accueillir les clients a disparu. Il a été licencié. Ils appellent cela la substitution du capital au travail. Aujourd’hui, les portes s’ouvrent à votre passage en vous souhaitant la bienvenue, suivie de votre prénom, lui-même reconnu par la carte SIM présente dans votre « ultrasmartphone ».

Steve fait son entrée, il s’offusque des pannes récurrentes de la mécanique des escalators. Continuer à pied ? Il s’y refuse. Le responsable du conseil de surveillance de ce grand magasin n’a plus le budget pour assurer la maintenance de ces appareils. Celui-ci est entièrement consacré à la décoration de l’enseigne et à la communication.
Après vingt bonnes minutes à errer dans le hall, Steve se résigne à monter les marches une par une. Afin de se faciliter la tâche, il imagine un tapis rouge sur cet escalier et des flashs incessants autour de lui.

Premier étage, prêt-à-porter homme, le niveau suscitant le plus d’intêret chez Steve. Toujours protégé de sa cagoule, il se met à la recherche de chandails, d’anoraks ou autres gilets. Super !!! Chouette pull orange en cachemire à seulement 2999,99 € après réductions. Notre ami Stisti préférerait mourir plutôt que de louper une telle affaire. Il mît donc ce cachemire dans son panier.
Pendant ces deux dernières décennies, nombreuses sont les personnes qui se sont allégrement enrichies jusqu’à pouvoir assigner des grouillots pour faire leurs courses. Steve, lui n’en est pas là, ses ressources lui permettent de vivre pleinement sans avoir à subir la honte de se nourrir aux Restos du cœur, de s’habiller chez Gemo et de se déplacer en tandem.
Alors il a un panier, qui s’est donc alourdit d’un pull.
Vivre en comptant le moindre euro provoque de larges suées. Physiquement, les effets de cette crise sont grandissants, la vente de shorts et bermudas s’est donc considérablement développée. Steve se dirige alors vers ce rayon pour « s’habiller pour l’hiver ».
Trois pantacourts se chargent d’entasser le panier. L’affiche « 3 POUR 2 » a eu l’effet escompté. Seulement 2259,50 € pour du 100 % coton, ce serait moche de s’en priver.

Il faut passer à la caisse. Pour Steve, ce n’est pas le moment le plus difficile comme peuvent le prétendre les pauvres. Il s’agît juste d’une étape à respecter pour ne pas transformer son shopping en délit.

En sortant du magasin, Steve aperçoit un ancien camarade de classe accompagné de sa guitare. Débraillé, presque nu, il propose un concert et/ou fait la manche. Sans rancune ni regret, cet artiste a encore été ignoré par un passant, mais pas n’importe lequel, son meilleur ami de collège.

L’heure est venue pour Steve de rebrousser chemin. Les caméras de TF1 l’attendent de pieds fermes à son domicile pour réaliser une nouvelle émission de Confessions Intimes. Attention toutefois à ne pas omettre d’acheter une baguette de pain sur son retour. Une liasse de billets bleus suffira à se procurer ce petit plaisir du quotidien.

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